Jeune étourdie

La nuit ne m'est pas porteuse de sommeil, c'est alors que je erre sous le regard des constellations. Solitaire et silencieux. Parcourant le Domaine, surveillant ses abords. Ténébreuse sentinelle.

L'étoile noire veille.

Les ombres ont recouvert la voûte depuis des heures, et les mains de la fraîcheur ont resserrés les pans de ma houppelande. Mon pieds foule les prémisses forestiers quand je perçois dans le vent le chuchotement des Ents. Il est inhabituel qu'ils laissent leurs murmures s'insinuer jusqu'à nos portes. Les arbres animés ont l'habitude de se faire discrets.

Une odeur. J'inspire à deux reprises l'essence voltante à mes narines. Mon regard s'aiguise, étincelant d'une lueur précise.

Une jeune fille est proche, et le doucereux parfum qu'elle dégage m'apporte les langueurs de son sommeil. Je m'enfonce sous le couvert des arbres, invisible aux yeux mortels.

Sa chaleur somnolente me guide jusqu'à elle. Entre les branches, les troncs épais à l'écorce mousseuse, les fougères dansantes, je découvre Luxiya, étendue entre les racines d'un centenaire.

Une douce innocence se dégage de sa personne. Debout en face d'elle, je l'observe, un sourire sur les lèvres. J'ai repris ma forme visible.
Son aura ne me trompe pas. Quand j'exerce mes prunelles sur les lignes de son corps, je ne ressens alors aucune pulsion irrépressible.

Elle sera en sécurité...

Je dégage ma cape pour m'assoir sur une des racines noueuse entre lesquelles elle s'est endormie, un bras posé sur ma cuisse, je me cale au bois tortueux du tronc, attendant qu'elle s'éveille d'elle même....

La jeune guerrière s'éveille, s'aperçoit de ma présence et recule légèrement. Ses sourcils se froncent, tentant de distinguer mes traits ombragés. Je souris, inclinant mon visage dans un rayon de lune.

"Je te retourne la question. Endormie comme tu l'est au beau milieu de la forêt bordant le domaine des étoiles..."

Ne prenant pas la peine de répondre à sa question, trop insouciante qu'elle est.

"Une jeune fille telle que toi ne devrait pas s'aventurer seule dans des contrées inconnues. Tu es proche d'une frontière ennemie..."

Approchant mon visage d'elle dans une distance raisonnable. Chuchotant.

"Qui sait ce que j'aurais pu faire de toi ?"

Je la sens se glacer, prenant soudainement conscience de son imprudence. Je ne lui ai fais aucun mal et elle le sait, mais rien n'est immuable, et je ne suis qu'une étoile parmi tant d'autres...

"Les constellés n'ont pas tous ma clémence...ni ma bienveillance..." susurrant mes mots comme un avertissement.

Un frisson me parcouru la colonne vertébrale. Je fronçai les sourcils

- Je n'y peux rien si j'ignorais qu'une faction ennemie se trouvais ici, juste au bout d'une forêt aussi paisible .

Haussant les épaules j'ajoutai

-Je ne crois pas que tu me feras de mal, je ne suis pas arrivée ici avec de mauvaises intentions. Mais si tu as l'intention de me transformer en gibier, laisse moi voir le domaine des étoiles, je suis plutôt curieuse de voir à quoi il ressemble.

J'attendis en observant sa réaction

Un petit rire narquois s'échappe de ma gorge.

"En gibier ?" plongeant mes yeux d'émeraude au fond des siens "Ce n'est pas ce à quoi j'aurais songé..." à voix basse comme un sombre aveu.

Glissant de la racine pour retrouver la terre. La regardant de haut, elle, assise à mes pieds.

"Je ne suis pas un guide touristique pour les larbins de l'Alliance." faisant référence à une ancienne conversation.

M'accroupissant ensuite à quelques centimètres d'elle, mes bras posés sur mes cuisses.

"Et que souhaites-tu y trouver ? Ne crains-tu pas pour ta vie ?"

Je hausse un sourcil amusé, un sourire remonte à mes lèvres.

"La vie des mortels est courte en effet, il faut savoir parfois passer outre ses peurs pour faire d'agréables et de surprenantes découvertes..."

Je parle de tout autre chose, mais ce parallèle avec une récente discussion m'amuse au plus haut point.

Je tends ma main ouverte pour l'aider à se relever, décidant finalement de la conduire là où elle le désire...

Je l'entraîne dans la forêt, cheminant à travers les branchages.

"Ne t'attends pas à croiser qui que ce soit à cette heure, il faudra attendre le matin."

Il est à peine quatre heures, et le domaine dort paisiblement. Je m'interroge alors sur ce que nous allons bien pouvoir faire.

"Tu risques de t'ennuyer jusqu'à ce que le jour se lève, et je ne sais pas quoi te proposer en attendant..."

Il ne vaut mieux pas que je la laisse errer seule dans notre repaire. Si elle a le malheur de croiser les guerriers maléfiques, je ne donne pas cher de sa peau...

La taverne ? Aucune idée si Calyso en ferme la porte la nuit. Nous verrons bien...Dans le pire des cas, je ferais appel à mes lointains souvenirs de crochetage...sans crochets...

Nous passons la haute palissade et nous engouffrons dans le Domaine baigné de tranquillité. La place passée, je l'entraîne devant la taverne.

Ma main se pose sur la poignée, l'actionne. Fermée. Je tourne mon visage vers elle.

"Elle est fermée à clés..." simple constat.

Je cherche à savoir si elle tient vraiment à y entrer, ou si elle à une autre idée...

Elle farfouille dans sa besace et en sort un crochet. Je m'attends à ce qu'elle me le donne, au lieu de quoi la voilà qui s'agenouille, enfonce précautionneusement la pointe de fer dans la serrure et triture le mécanisme. Je la regarde faire, assez surpris qu'elle connaisse cette technique qui tient plus des compétences des criminels que des justiciers.

Un déclic, la porte s'ouvre. Elle arbore un sourire satisfait et s'engouffre dans la taverne. Elle se dirige vers le comptoir, s'empare de deux bouteilles pleines d'hydromel sur l'étagère et retourne vers moi. Elle me fourre l'une d'elle dans les mains. Je l'observe, interloqué.

Elle se sent décidément bien à l'aise pour ainsi s'introduire dans un lieu ennemi qu'elle n'a jamais visité, allant même jusqu'à dérober deux bouteilles de l'excellent breuvage de Calyso.
Je balance entre impolitesse et insouciance, avant de pencher franchement vers le second.

Regardant le liquide ambré.

"Tu as pris de quoi nous souler." faisant plus allusion à elle qu'à moi, puis levant la tête vers les bâtiments. "Sais-tu grimper sur un toit ?"

Je hausse les épaules, espiègle.

"Tu expliqueras ça à Calyso si jamais elle nous demande pourquoi la porte a été forcée."

Suite à son petit air exaspéré je fronce un sourcil. Voyons si elle saura me suivre...

"Soit. Alors allons-y."

Je choisis délibérément le bâtiment le plus haut du Domaine. Je pars en courant rangeant l'hydromel dans ma sacoche, bien décidé à mettre son endurance à rude épreuve.

Première étape, se hisser sur le toit de la bâtisse adjacente, plus bas, offrant quelques prises dont des poutres et un balcon.

Je file droit vers le mur, prend une impulsion, percute la parois de mon pieds droit et projette mon bras en l'air. Ma main s'accroche au côté du balcon. Je me hisse ensuite au garde corps, et me maintiens en équilibre sur la rambarde. Une fois mon équilibre trouvé, je bondis comme un fauve sur le toit. Mon ventre percute l'angle des tuiles dans un bruit de pierre creuse. Ma jambe prend de l'élan en se balançant et enjambe le vide pour retrouver la toiture. Je roule sur le côté avant de m'accroupir, jetant un œil en bas pour apprécier l’ascension hasardeuse de la jeune fille.

J'esquisse un sourire narquois et m'élance en direction du bâtiment que je convoite, avançant sur l'arête du toit comme sur un filin tendu, les bras écartés, avec une étonnante agilité.

J'atteins la façade. Une difficile escalade s'annonce. Ma taille me permet d'atteindre les différents rebords des fenêtres, mais Luxiya aura sans doute plus de mal, mais nous verrons bien...peut être a-t-elle d'autres surprises a me dévoiler.

La toiture du plus haut bâtiment est légèrement pentue mais ne représente que très peu de risques de chutes. Mon regard embrasse la voûte nocturne. La vue est magnifique d'ici. Au loin la forêt se dessine, protégeant notre repaire de ses bras touffus.

Je pose mon sac et mon arme qui ne m'ont pas facilité la tâche, et essuie mon front du revers de ma main. M'accroupissant au bord du vide, je regarde où en est la guerrière tout en défaisant l'attache de ma cape.

Je me demande comment la guerrière à put parvenir sur le toit avec autant de facilité. Je lui jette un regard décontenancé avant de me relever.

Le coude levé, elle boit avidement au goulot l'excellent hydromel de Calyso. Je ne résiste pas une seconde et donne un petit coup de bras dans sa bouteille en passant près d'elle.

Ses yeux forment deux billes sous la surprise. Le liquide d'ambre coule le long de son menton et dégouline sur sa poitrine avant qu'elle puisse la remettre d'aplomb.

Je prend précautionneusement de la distance et m'allonge nonchalamment sur les tuiles, appuyé sur un coude, un sourire taquin sur les lèvres.

Prudent, je m'étend à distance, ne perdant pas l'occasion de la narguer en débouchant ma bouteille et en en buvant une longue gorgée sous ses yeux avant qu'elle n'arrive.

Je la rebouche et la plonge dans ma sacoche, derrière moi.

Appuyé sur mon coude, nonchalant, je passe ma main dans mes cheveux et soupire à sa question.

"Plus depuis longtemps non..." tourne mon visage vers elle "Je n'ai pas votre rythme."

Je hausse un sourcil.

La jeunesse et la curiosité...incrédulité ?

Lui dire la vérité d'un bloc sans autre forme d'explications risque de la faire douter de ma parole. Un furtif haussement de sourcil tandis que je caresse ma mâchoire, pensif.

Levant les yeux sur elle.

"Parce que je ne suis pas de ta race pour commencer, et au delà de ça mes origines me confèrent quelques pouvoirs, et me dispensent de la nécessité de dormir, comme celle de manger ou de boire." tourne la visage vers l'horizon "Ainsi, je peux faire toutes ces choses par plaisir sans être esclave du besoin."

Je fronce légèrement les sourcils. Qu'il était d'une autre race je l'avais déjà compris par moi même. Je fixe à mon tour mon regard vers l'horizon où la lueur allait en grandissant, l'aube se rapprochant.

-Ne pas dormir.... tu dois y être habitué et trouver cela sans doute avantageux, mais moi je trouve que c'est dommage. Selon moi, le sommeil est l'un des avantages de cette vie, c'est l'un des rares instants où l'on peut être tranquille, en paix.... me tournant à nouveau vers lui avec un sourire mais évidement il est parfois l'instant où nos peurs ou nos sentiments profonds cachés nous envahissent ou nous obsèdent le plus.

J'attendis sa réponse en triturant pensivement une mèche de mes cheveux