Une invitation (2nd partie)

-Non.

Je marque un temps d'hésitation. Réfléchis un instant, cherchant dans mes souvenirs les moments où je ne suivais plus la voie, où j'étais « égarée », comme me disaient les anciens d'un air peiné.

-Non.
Je suis bien d'autres choses encore.

Je lui adresse un petit sourire, m'approche de lui, mains dans le dos.
Je voudrais lui dire que je pense être espiègle parfois, mais il le découvrira sans doute de lui même.

-Tu n'aimes pas la lumière ?

Petite question pour détourner la conversation, non pas que je ne veuille pas lui répondre, mais je n'arrive pas à mettre des mots sur ce que je suis. Difficile de séparer la femme que l'on a formaté et celle que je pourrais être, que je sens, au fond de moi.

Deux "Non" successifs. L'un par réflexe défensif. L'autre pour se convaincre qu'elle n'était pas devenue ce qu'ils avaient voulu faire d'elle.

J'esquissais un sourire.

"Je suis bien d'autres choses encore." ajouta-t-elle ensuite pour appuyer son propos.

Je ne doutais pas qu'elle soit bien plus que cette jeune femme formatée par le culte, et le parfum du changement planait déjà dans l'air, je pouvais le sentir entre nous, presque palpable. Elle en avait envie. Elle voulait se révéler sous un autre jour. Et je l'y aiderais...

Elle s'avança, une main cachée dans son dos l'air espiègle, et m'interrogea.

Demander à un elfe noir s'il n'aime pas la lumière était comme demander à un animal marin s'il aimait la terre ferme.

Mais les choses sont plus complexes qu'elles n'y paraissent. Alors au lieu de rire face à l'absurdité de sa question, j'entrais dans son jeu et la pris de court. D'un geste rapide je plongeais ma main dans son dos pour saisir le bras qu'elle cachait, la ramenant subitement contre moi, l'immobilisant avec poigne. Si elle avait eu dans l'idée de m'éblouir avec une de ses petites boule d'énergie, il aurait fallut qu'elle trouve autre chose désormais.

Un sourire en coin apparut sur mes lèvres.

"J'ai appris à la supporter."

Je ne m'attends pas à ça et ne sais comment réagir. De toute façon, il est trop tard, me voilà serrée contre lui. La stupeur me laisse un instant immobile.
Son odeur flotte à mes narines. Si près de lui, sans pouvoir me libérer, je me sens petite, faible. J'ai l'impression qu'il pourrait, sans que je puisse rien y faire, m’abattre. 
Je ne m'avoue pas vaincue trop vite pour autant et bouge pour essayer de me libérer, ne desserrant pas mon poing de peur de perdre ce qui s'y trouve.

Ma respiration s'accélère lorsque je me rends compte que mes mouvements ne changent rien à l'affaire, et ne font que me faire me frotter contre lui. Je cesse de bouger et lève la tête pour le regarder.

-Je suis donc supportable ? Dis-je en accentuant ma voix sur le dernier mot. 

Je secouais la tête, prenant un air peiné.

-C'est presque vexant.

Elle remuait du plus qu'elle pouvait sans réussir à se dégager et finit par abandonner. Elle soupira avant de lever son visage vers moi qui la regardait avec un petit sourire.

D'une moue boudeuse elle tenta de retourner mes propos contre moi, me faisant dire ce que je n'avais pas dis. Je haussais un sourcil, mi étonné mi amusé.

"Tu n'es que lumière finalement ? Je croyais que tu étais bien d'autre choses Ciara...s'en est presque déçevant..." rentrant totalement dans son jeu.

Sa remarque me fait sourire, et je me rends compte qu'il m'a eu.

-Bien.

J'observe son visage avec attention, pour voir les différences qui existent entre lui et les autres hommes que j'ai jusqu'alors connu. 
Ses pupilles brillent, tels deux joyaux. Pourrait-il me soumettre à sa volonté comme il l'a fait avec les femmes qui le traitaient en esclave ?

-Tu peux lâcher ma main, elle ne te fera rien. 
Rien de mal tout du moins.

Elle m'offrit un sourire loyal face à sa défaite dans ce premier jeu, dumoins à première vue.
Ses yeux s'égarèrent librement et avec moins de retenue que d'habitude, elle semblait pensive, voir même interrogative.

Elle me demanda de la libérer. J'eus un instant de flottement. Je sentais son avant bras contracté, signe qu'elle avait le poing fermé.
Que dissimulait-elle ?

Ne jamais sous-estimé ses adversaires.

Ciara n'en n'était a priori pas une, mais je restais attentif.

"Dommage...je commençais à m'y faire..." lâchais-je dans un demi-sourire, mes yeux dans les siens avant de la libérer.

Un petit sourire amusé monte à mon visage tandis que je recule d'un pas, instaurant une légère distance entre nous.

-Peut-être aurons-nous d'autres occasions.

Je baisse les yeux sur mon poing, le tourne, puis regarde Helevorn. 

-J'ai vu que tu étais doté de beaucoup de pouvoir...

Je tends mon poing entre nous.

-Peux-tu deviner ce qu'il s'y cache ?

Elle s'éloigna, brisant le contact charnel entre nous. Mon regard scintilla davantage.

Sans y prêter attention elle me tendit son poing et me demanda de deviner ce qui s'y cachait.

Me prendrait-elle pour un voyant ? Je n'avais guère envie de répondre à sa devinette, et à vrai dire, une toute autre envie me pressait.

Je glissais ma main sur sa nuque la tirant jusqu'à ma bouche pour lui donner un baiser mêlé d'une douce morsure. De surprise, elle fit tomber l'objet qu'elle cachait dans son poing.

Me séparant de ses lèvres frémissantes, un sourire en coins, je ramassais une petite pierre sombre, la faisant tournoyer au creux de ma main.

"Un cailloux noir ?" espiègle.

Encore une fois, il me prenait par surprise. 
Encore une fois, je n'avais pas eu le temps de réagir. Juste celui de savourer. Le frisson qui me parcours quand sa main passe sur ma nuque, très sensible. Le plaisir teinté de son baiser.

Je n'y réponds pas. Pas le temps. 
Il ne saura pas si j'en aurais eu envie. 

Je referme mon poing, me rend compte qu'il est vide. Il m'a eu. Décidément... 
Il est doué. 

Je souris, m'approche tout près, et passe mes doigts sur les siens et sur le caillou. 

-Pas seulement. 
Tout comme je ne suis pas seulement de lumière.

Stupéfaite.

La bouche entre-ouverte de surprise, son regard se perd dans le miens un instant avant qu'elle puisse reprendre un peu de contenance.

Elle parait à peine contrariée, et reprend vite ses moyens. Elle sourit, et effleure mes doigts des siens, jusqu'à caresser la pierre au creux de ma main.

La sensation de sa peau contre la mienne m'électrise...

"Ça risque de devenir dangereux..." soufflais-je..

-Pour qui ?

Prestement, je me saisis du caillou, et ranime d'un geste les plantes touchées précédemment. Mon rire résonne dans la forêt ; les plantes, entrainées par ma magie, s'enroulent autours de ses jambes, non pas pour le retenir, juste pour le ralentir.

-J'attends de voir ça.

Je lui tire la langue, et me détourne avant de me faufiler entre les arbres.

Elle s'enfuit, requérant l'aide de la forêt pour entraver la chasse dans laquelle elle m'incitait à me lancer.

Dangereux pour toi qui décide de t'enfuir, pensais-je. Si c'était toi qui me traquait, peut être que ta question aurait lieu d'être...et encore, Ciara...et encore...

Les plantes s'enroulèrent autour de mes jambes, son rire satisfait, l'air enfantin qu'elle prenait pour me narguer, tout ceci dessina un sourire sur mes lèvres.

Espérait-elle réellement que ces plantes puissent me retenir alors que quelques minutes auparavant, elles s'étaient recroquevillés à mon contact ? Croyait-elle pouvoir me distancer à travers ce bois que je connaissais si bien ?

Elle s'était retournée et éloignée. Je la regardais sans ciller, sans l'ombre d'une crainte quant à la suite des évènements, avant de disparaître dans le paysage...

Quand elle jetterait un œil derrière son épaule pour voir a quelle distance je me trouvais, elle ne trouverait personne...

Combien de temps les plantes allaient-elles le retenir ? Peu, assurément. Suffisamment cependant pour me laisser m'éloigner.
Ma robe blanche n'était guère pratique pour me cacher, et sa longueur me gênait pour courir, aussi l'attachais-je de façon à ce qu'elle m'arrive aux genoux et laisse à mes jambes une plus grande liberté de mouvement.
J'aurais voulu voir l'elfe chasser, mais alors il aurait fallu que je ne sois pas la proie.

Je m'arrêtais de temps à autre, écoutant les bruits autours de moi, essayant de le repérer, lui, ou, à défaut, son odeur, son souffle.

Je changeais souvent de direction, alternais course et marche. Découvrant cette forêt. Que pouvait-elle bien cacher d'autre en son sein ?
Peut-être une rivière, une grotte. Ou rien.

Je devais le découvrir avant qu'il ne me trouve.

Ciara se perdait dans les dernières lueurs du jour. L'ombre projetée à travers les arbres se muait en une prison végétale dans laquelle la jeune prêtresse s'égarait, revenant sur ses pas, passant plusieurs fois au même endroit, pour au final revenir là où elle m'avait laissé.

Je t'avais prévenue Ciara...

Elle s'avança, haletante, scrutant le lieu avec une impression de déjà vue.

Je m'approchais d'elle pour m'arrêter à un pas de son dos. Ses épaules se soulevaient hâtivement, elle hésitait sur la direction à prendre, je la sentais inquiète. Sans doute commençait-elle a comprendre qu'elle ne réussirait pas à sortir d'ici seule...

Elle recula soudain d'un pas, se heurtant à mon plastron de métal. A son contact je réapparu, saisissant son poignet dans la volée pour signifier "sa capture".

"Tu me reviens sans que j'ai eu besoin de courir..."observais-je, imperturbable.

Je devais être revenu sur mes pas, je n'avais pas d'autres explications. Comment expliquer sinon que cet endroit ressemble tant à celui que je venais de quitter ?
A un détail près.
Un sacré détail près.

Où avait-il bien pu passer ?
L'inquiétude commença à me gagner. J'avais voulu jouer, mais il avait changer les règles. Il devait être parti, me laissant seule dans cette forêt que je n'arrivais pas à quitter.

La peur commençait à s'infiltrer en moi, et à me faire entendre des bruits dont je ne savais ni la provenance, ni s'ils n'existaient dans ma tête ou s'ils étaient bien réels.
Je regardais autours de moi, ma respiration s'accélérait. Je me sentais vulnérable.

Un bruit plus proche me fit reculer et je sentis quelque chose dans mon dos, me faisant pousser un cri d'effroi. Je voulus partir, mais il m'en empêcha, et le voir, là, en face de moi, voir qu'il ne m'avait pas laissé, ne me calma pas pour autant.
Je le regardais, apeurée, sans savoir si ma peur venait de lui, ou d'ailleurs. Je sentais ma poitrine se soulever douloureusement à chacune de mes respirations trop rapprochées.
A cet instant précis, je me fichais de savoir ce qu'il pouvait penser de moi, de ma peur. Tout ce dont je souhaitais, c'était quitter cette forêt.

"Tu t'es laissée prendre au piège...vouloir fuir cette forêt à tout prix t'as mené à t'y perdre. Souviens-toi la façon dont tu es venue jusqu'au domaine des étoiles. Si tu souhaites en repartir, fais le de la même manière, et tu retrouveras ta route..." lâchant son bras pour la laisser partir pour de bon si elle le désirait.

La nuit commençait à nous envelopper, de minutes en minutes.

"...mais hâte-toi...les ténèbres approchent."

Je ne l'empêcherais pas de partir comme la nuit dernière, elle savait à présent. Et sans doute avait-elle finit par prendre suffisamment peur de moi pour s'éloigner, et il en serait peut être mieux ainsi...pour elle.

Mêlant mon regard d'émeraude au sien, j'attendis qu'elle prenne sa décision. En me rendant la clé de ma chambre, ou en me demandant de la raccompagner au Domaine pour la nuit.

Il m'avait lâché, mais ma respiration ne se calmait pas. Je l'observais, cherchant sur son visage une vérité que je n'avais jamais pu lire nulle part, comme si elle n'existait pas. Mais, même en sachant qu'il était peu probable que je trouve ce que je cherchais, je le regardais quand même.
Je voyais la lumière baisser rapidement, mais je n'arrivais pas à partir. Pas sans être sûre qu'il n'y avait rien ici...

Le bruit de ma respiration montait à mes oreilles.

Je devais prendre une décision, et vite.

Je me détournais de lui, fis quelques pas, m'arrêtais. J'avais sa clé dans une main, le caillou dans l'autre. Refermant mes poings, je me retournais à nouveau, vers l'elfe cette fois-ci.

-Je souhaiterais rester encore un peu dans le domaine.

Ainsi, elle avait fait son choix. Un risque qu'elle prenait. Inconsciemment. Ou peut être en toute conscience finalement.

Le danger l'attirait peut-être. Sans doute.

Explorer ses limites ?

Elle était la seule à le savoir.

Je la menais alors hors de la forêt, glissant ma main dans mes cheveux, pensif. Je la sentais curieuse, mais était-elle prête à aller plus loin que la simple découverte ?

Elle s'avança à ma hauteur, plongée elle aussi dans ses pensées, me regardant de temps à autre jusqu'à ce que je tourne les yeux vers elle.

Il était encore tôt, mais je la menais à nouveau au seuil de ma chambre. Elle devait avoir besoin de sommeil après sa nuit blanche et ces quelques heures éprouvantes avec moi.

"Je te laisse ici..." une affirmation en forme de question...

Je le suivais, restant au départ derrière lui. Ma main gauche s'ouvrit lentement, et le caillou tomba sans que j'en entende le bruit. Je refermais alors mon poing, et m'avançais à sa hauteur.
Je réfléchissais à l'endroit où j'aurais pu aller si j'étais parti en lui rendant sa clé.
Je ne connaissais pas encore de lieu où j'aurais pu passer en sécurité la nuit. Cette sensation d'incertitude et de solitude était toute nouvelle pour moi, et je n'arrivais pas à m'y habituer.

Nous nous retrouvions à nouveau devant sa porte. Je me tenais devant lui, avec l'impression que nous n'avions guère avancé.

Allait-il en être toujours ainsi entre nous ?
Un pas en avant, plusieurs en arrière. Comme une danse. Que je ne menais pas. Ou alors pas consciemment.

J'ouvris sa porte et entrais dans la chambre, laissant la clé dans sa serrure et la porte béante.
Je ne lui avais pas répondu, me contentant de m'approcher de la fenêtre et de défaire d'un air absent ma robe que j'avais précédemment attaché afin qu'elle recouvre à nouveau mes jambes.

Ensuite, je restais sans bouger, en attendant d'entendre le bruit d'une porte qui se refermerait.

Pour toute réponse, elle s'engouffra dans ma chambre, laissant la porte grande ouverte, me tournant le dos face à la fenêtre.

Repliant légèrement sa jambe, elle défit le nœud qu'elle avait fait sur sa robe, absente. Je l'observais silencieusement dans l'embrasure de la porte, une main sur l'encadrement.

Mon regard se posa sur la cape que je lui avais prêtée la nuit dernière. Elle l'avait soigneusement repliée et posée au coin du lit.

J'entrais à mon tour, retirant au passage la clé de la serrure puis me saisissant de ma houppelande pour la déployer sur mes épaules d'un mouvement ample. L'attachant consciencieusement sur les bords de mon armure, je m'approchais de Ciara, frôlant son dos.

Remontant lentement mes doigts de sa nuque à la naissance de ses cheveux, ma bouche murmurant à son oreille "N'oublie pas la clé dans la serrure demain matin..." glissant doucement la clé entre son pouce et de son index, avant de m'éloigner, et de quitter la chambre.

Mes yeux se fermèrent lorsque je le sentis dans mon dos.
Un nouveau frisson me prit lorsque ses doigts me touchèrent, son souffle chatouilla mon oreille, ma tête bougea légèrement vers la sienne, comme pour se faire attentive à ses mouvements, à ce qu'il allait me dire.

Mes mains pendaient le long de mon corps, effleurant le tissus de ma robe. Vides.

Je hochais doucement de la tête en réponse à ses propos, et refermais mes doigts sur la clé.

J'attendis d'être sûre qu'il soit parti pour bouger, puis je suis allée fermer la porte à clé, avant de me coucher, une nouvelle fois, sur son lit.
Le sommeil me trouva rapidement et rien ne vint l'interrompre à part le soleil, au matin, sur mon visage. Je me tournais sur le côté, remontant mes genoux contre mon ventre et mes mains sous ma joue.

Il était temps que je reparte sur Aéris. Il fallait que je m'y trouve un endroit où me réfugier la nuit car je n'aurais sans doute pas de nouveau la chance de trouver aussi facilement un refuge.
Je me levais donc, encore engourdie par le sommeil, et quittais sa chambre, sans trop savoir que faire de la clé.

Je rejoignis alors l'auberge, posais la clé sur le comptoir, et demandais au tavernier s'il pouvait la lui rendre.
Sans attendre de réponse, je me détournais, et rentrais m'occuper de trouver un endroit où vivre.