A prendre avec des gants...

Jour sombre et orageux. Le soleil a déjà montré ses premiers rayons, pourtant mon cœur n’est pas à la fête. Heures de colère. Plusieurs jours déjà, et je n’ai toujours pas réussi à faire le point convenablement. J’enrage et sors de mes gonds pour la moindre remarque. Je suis devenue une silhouette solitaire au Domaine depuis que les gens ont compris qu’il ne faisait pas bon me fréquenter ces derniers temps.

Ame en peine, j’ai quitté ma couche après une nouvelle nuit d’insomnie. Humeur exécrable une fois encore. Vêtue de ma tunique noire la plus simple, les cheveux en désordre, j’erre vers la taverne, sans réelle faim, juste pour m’occuper. Alors que j’allais y pénétrer, une voix m’arrête. Perdue dans mes pensées, je ne l’avais même pas entendue arriver.

Je me retourne et découvre une jeune femme à la chevelure multicolore qui tranche désagréablement dans mon monde de grisaille actuel. Le ton est poli, la voix chaleureuse. Tout ce que j’abhorre en cet instant. Laissez-moi ruminer mon mal être en paix…

C’est une nouvelle recrue de la faction pourtant. Je ne peux me permettre d’être totalement désagréable avec elle. Une élémentaire politesse. J’espère qu’elle fuira. Je la toise d’un œil peu amène.

« Rhapsody. »

Sans un mot de plus, je pousse la porte de la taverne d’un coup d’épaule mauvais et m’y engouffre sans inviter ma compagne.

Elle n’est pas dissuadée. J’entends la porte qui s’ouvre et se referme derrière moi et étouffe un soupir d’exaspération. Le lieu est commun, je le savais en venant. Je ne peux passer mes nerfs sur la première personne que je rencontre.

J’attrape un morceau de pain, jetant un coup d’œil peu amène à la confiture qui en cet instant me rappelle trop de souvenirs que je préfèrerais taire. Pincement au cœur. Désaccord entre mes sentiments et ma raison. Rapide retour à une table où je m’affale. Mes longs doigts entreprennent de décortiquer le pain en bonne et due forme sans pour autant qu’une seule miette ne franchisse la barrière de mes lèvres. Je n’ai pas faim.

Alors que je me suis perdue dans des pensées peu charitables, un liquide chaud se répand sur mes jambes, me brûlant légèrement la peau. Je sursaute et bondis en arrière, ma neigeuse déjà en main quand je m’aperçois que ce n’est que la nouvelle recrue. Luxiya il me semble.

Ma colère explose en s’apercevant qu’elle demeure figée sur place, confuse, mais mon exaspération croît encore lorsqu’elle se sent obligée de m’aider. Je ne veux pas qu’on m’aide. Je ne veux pas qu’on m’approche. J’ai bien vu où tout cela m’a menée.

Je la repousse d’un bras, plantant mon regard dans le sien tout en laissant échapper une voix de glace.

« Ne me touchez pas ! »

Qu’on ne me touche plus. Qu’on me laisse tranquille. J’éponge le liquide brûlant, regarde l’étendue des dégâts sur ma peau rougie. Un soin viendrait probablement rapidement à bout de ces quelques meurtrissures, mais je n’ai nulle envie d’apaiser mes tourments. La douleur physique constitue une agréable alternative.

Malgré mes avertissements, elle agrippe mon poignet. J’envisage un instant de le lui faire regretter amèrement mais me contrôle. Elle n’est pour rien à mon mal être. Elle est une compagne de faction. En d’autres circonstances, j’aurais probablement pris plaisir à parler avec elle.

Rester sage.

Je la laisse déployer son sort de soin qui lisse ma peau boursouflée. Petite enquiquineuse. Elle veut m’aider. Que peut-elle faire au fond ? Rien de plus que moi. Je suis condamnée à prendre mes responsabilités et assumer mes choix.

Je tente toutefois de lui faire peur. A ses dépends, je m’amuse un instant, tirée de mes noires pensées par l’image ironique qui s’est créée dans mon esprit.

« Êtes vous qualifiée pour faire disparaître une nécromancienne passée experte dans l’art de la vilenie et de ses sombres arcanes ainsi qu’un guerrier d’environ un mètre quatre vingt dix croisé avec des engeances peu fréquentables ? »

Je me fais extrêmement sérieuse en cet instant et attends sa réponse comme si elle pouvait me libérer de tous mes tourments alors que je me doute bien de son incapacité en ce domaine.

Fimine, ce qu’elle peut m’agacer. Alors que j’ai envie de me morfondre en solitaire dans mes problèmes, elle tente désespérément de m’aider. Elle se mêle de ce qui ne la regarde pas. J’ai une furieuse envie de la renvoyer sans ménagement, de m’éloigner d’elle, de m’en débarrasser.

« Je n’en veux à personne en particulier et à toutes les créatures de la création. Je veux qu’on me laisse en paix définitivement. »

Qu’elle ait pu reconnaitre ceux que j’honnis par ma description m’agace, mais désormais, il est trop tard pour reculer quoi qu’il en soit. Elle ne connaîtra néanmoins rien à mon histoire. Je ne veux pas qu’on connaisse mes faiblesses… Les gens ont en déjà assez profité.

Elle finit par comprendre. Une dernière phrase jetée à la figure avant de s’enfuir hors de la taverne. Un instant, les remords me prennent à l’idée que je l’ai traitée de façon fort cavalière… Pourtant, elle n’avait qu’à pas se mêler des affaires des autres. Ne lui a-t-on jamais pris que c’était la source de tous les ennuis ?

Laissée seule face à moi-même dans l’auberge, je finis par me décider à la quitter, ne goûtant guère à cette solitude que je m’impose. J’ai besoin de grand air et de nature, de violence et de changement de circonstances. Mon grimoire dans une main, ma cape dans l’autre, je m’éloigne vers une zone de chasse prospère, espérant me changer les idées dans le sang et la douleur.

En cet instant, la jeune Luxiya est déjà loin de mon esprit. Plus tard peut être, elle ajoutera à la charge de mes regrets.