Retrouvailles et confrontation - seconde partie

Sa cape à quitté mes mains, ligotée de fils de cuir, portée dans les serres noires d'un corbeau messager direction un Manoir ou je ne compte plus mettre les pieds.

Construction ancienne et sombre que je considérais alors comme ma propre maison, se transforme en un lieu honni, dont la maîtresse des lieux m'évoque fureur, hérisse ma peau en un lancinant besoin de violence.

Étrange est la vie et son impermanence. Ses revirements incessants. Ses cycles funestes, porteurs d'une joie teintée de méfiance, car nous savons que revers il y aura. Tôt ou tard.

Les heures passent. Prostré dans ma chambre. Ma colère vis à vis d'Exoriel se transpose sur Rhapsody. Ses derniers mots jetés à mon visage me plongent dans une rage silencieuse.

Comment peut-elle me parler sur ce ton ?

Comment peut-elle se permettre une scène qu'elle ferait à un mortel ? A un humain ? Ne sait-elle pas qui je suis ? L'as-t-elle oublié ? Espère-t-elle me prendre dans ses filets en se comportant de la sorte ? Ou souhaite-t-elle désormais tout détruire, annihiler dans l’œuf l'émergence de sentiments sincères, trop fière et glaciale qu'elle est ?

J'essaye vainement de retrouver mon calme. Le temps fera son office.

Les heures passent. L'irritation me ronge. Je tourne en rond dans ma chambre. Me couche. Me lève. Prend un bain. M'éloigne du bâtiment des chambres dés l'aube pour une ballade. Sans effet.

La conclusion est sans appel. Il n'y a d'autre issue que la confrontation directe.

Je retourne à sa chambre, y frappe pour la trouver et provoquer l'affrontement. Personne. Je ressors. La cherche dans la taverne, dans les thermes, dans la salle d'entraînement.
La simple idée qu'elle ai put s'enfuir intensifie ma colère. Je veux la voir maintenant ! Crever l'abcès pour en terminer une bonne fois, quitte à tout détruire s'il doit en être ainsi.

Et je sais qu'elle y participera de bon cœur.

Après avoir retourné tout le Domaine, mes derniers espoirs se portent sur la bibliothèque. Je m'y engouffre, dépassant à vive allure les rayons, tournant ma tête de droite et de gauche. Pétris d'impatience, je tonne son prénom.

"RHAPSODY !"

Au fond de la salle, une silhouette longiligne s'extirpe de la rangée et me braque avec froideur. Je la transperce des yeux et m'avance à grands pas la faisant reculer contre le mur, m'arrêtant à quelques centimètres d'elle, l'observant de toute ma hauteur. Imposant.

A cet instant, l'envie de la frapper fourmille dans tout mon bras. Lui faire ravaler sa superbe. Je la poignarde des yeux, sans ciller.

"Ne t'adresse plus jamais à moi sur ce ton."

Un avertissement qu'elle ferait bien de suivre...

Depuis notre vague confrontation, un goût amer demeure en bouche. La sensation de n’avoir pas été au bout des choses, un songe inachevé. J’ai mal dormi cette nuit encore. Impossible de fermer l’œil sans que des images d’Helevorn ne me hantent. Je suis bien trop impliquée dans cette histoire.

Au milieu de la nuit, j’ai quitté ma couche. Vêtue de la première robe qui passait à portée, à peine coiffée, j’ai rejoint la bibliothèque dans l’espoir de me vider l’esprit de toute chose désagréable. A la lueur d’une chandelle, je me suis plongée dans le récit des mémoires d’un nécromancien qui décrivait allègrement les sensations consécutives à l’usage de sa magie.

Je suis encore en train de les lire, la bougie ayant rendu l’âme depuis longtemps, lorsqu’une voix que je ne connais que trop bien hurle mon prénom à travers la pièce. La fureur s’y fait entendre, et je me demande si j’ai fait quelque chose de mal, lorsque les récents événements me reviennent soudain en tête.

Je quitte l’abri de ma travée pour lui faire face, mais avant que je n’aie eu le temps de comprendre, il est déjà sur moi. Ses pas décidés m’obligent à reculer contre le mur tandis qu’il s’avance toujours plus, s’arrêtant à une courte distance. Je suis obligée de lever le regard pour accrocher le sien, y lisant une rage à peine contenue. Ses mots me frappent au visage, craché avec une fureur palpable. J’avais réussi à trouver un semblant de sérénité qui vient de se briser sous son agression.

Sans laisser paraître la moindre peur, je lui réponds avec froideur, bien que d’un ton relativement calme encore.

« Sinon quoi ? Tu vas me frapper, me séquestrer ? Me violer peut être ? Qu’est-ce que tu y auras gagné ? La satisfaction toi aussi de voir une femme brisée par ta force physique ? »

La colère gronde pourtant au fur et à mesure que je parle. Je la sens s’extirper du carcan que j’avais tenté de lui faire et prendre possession de mon être. Mon ton s’échauffe, ma voix monte. Tandis que je parle, je sens que je perds peu à peu le contrôle. Faire référence à un passé douloureux me blesse par trop.

« Je ne suis pas une poupée avec laquelle on joue un temps avant de la ranger dans un placard lorsqu’on s’en lasse. J’ai des sentiments et des réactions. J’agis comme JE le désire, et plus jamais, je ne ferai l’erreur de laisser un homme me dicter ma conduite. Je suis libre de mes actes, et je te parle comme je le souhaite ! Maintenant, si cela te déplait, vas-y, passe ta colère sur moi ! Je suis prête à endurer tous les sévices pourvu qu’on ne m’empêche pas d’agir à ma guise. Tu m’as de toute façon déjà bien plus blessée par tes actes que ce que tu ne pourras jamais le faire physiquement. »

L’envie de lui cracher à la figure m’étreint, mais je me retiens, consciente que cela n’est en rien nécessaire.

Je me contente de garder mon regard fiché dans le sien, prête à souffrir.

Ses premiers mots sont du poison qu'elle inocule dans le but de me blesser. En évoquant le viol, elle sait qu'elle touche mon passé, elle n'ignore pas les tourments qu'elle peut faire ressurgir, la culpabilité. Elle connaît mon adolescence. Elle sait ce qu'il s'est passé à Che'el. Pourtant, tous les coups semblent permis à présent.

Je l'ai blessée dans son orgueil, j'ai salis sa confiance, mais est-ce tout ce dont je mérite ? Du mépris. Des attaques.

Elle évoque la liberté. Quand l'ais-je emprisonnée. Je n'ai fais que l'avertir sur sa morgue glaciale.

Je fronce les sourcils, mes yeux rivés dans les siens, secs.

"T'ai-je dis que je me suis lassé ? T'ai-je faite prisonnière ? T'ai-je dicté une ligne de conduite ? La réponse à ces trois questions est non. Tu es blessée ? Tu te sens trahie ? Salie ? Je peux le comprendre, même si je ne t'ai rien promis. Mais ça ne te dispense pas du respect."

Ma voix est calme mais tranchante.

"Le ton impérieux que tu prends, tes attaques sur mon passé, ta condescendance, tout ceci ne vaut pas mieux que la gifle que j'aurais pu te mettre. Pourtant je ne l'ai pas fais."

J'approche mon visage du siens, pénétrant son regard qui se liquéfie.

"Quel est ton but ? La destruction est la voie que tu prends depuis cette fameuse soirée. Tes déductions ont été justes, tu sais qui je suis, pourtant toute cette compréhension que tu as est écrasée par une fierté mise à mal, et j'ai le sentiment que tu ne sauras t'arrêter avant qu'il ne soit trop tard. Tu t'en veux tellement d'avoir lâché prise..."

Recule légèrement.

"Et tu es la victime des ignobles infidélités d'un démon au cœur de fer, qui ne connait ni sentiment, ni compassion, ni bienveillance. Une carcasse vide, à peine bonne à intéresser les chiens errants des bas fonds de Melrath. Un être irrécupérable dont chaque agissement est orchestré dans un but définit."

La conforter dans ce qu'elle se martèle depuis des jours.

"Un infâme calculateur." murmuré.

Ma bouche esquisse son amertume. Un pas en arrière.

"Non, tu ne perds rien."

Je me retourne et prend la direction de la sortie. Inutile d'en dire davantage. Je ne veux pas supporter sa hargne, ses mots lancés pour m'atteindre au plus profond. Mes confidences qu'elle retourne contre moi à présent. La jalousie et l'orgueil d'une femme, une nouvelle fois, aurons raison d'un futur qui aurait put voir s'épanouir le changement.

Ses mots me transpercent. Je ne réalise qu’au moment où il m’accuse d’utiliser son passé que le provoquer au viol n’était pas le plus judicieux considérant son histoire. Je ne pensais pourtant qu’à la mienne au moment où je lui ai craché ces mots à la figure, et n’envisageais pas une seule seconde d’être aussi retorse. Trop de similitudes dans nos ressentis.

Il achève sa longue tirade par un dénigrement systématique. Mon être se rebelle énergiquement contre ce qu’il dit. Si le début de sa réflexion entre en concordance avec mes émotions, les derniers mots ne m’ont jamais effleurée. Je ne suis pas capable de faire si noir portrait d’un homme par moi-même.

Je réfléchis sur mes sentiments, mes réactions face à ses propos lorsqu’il s’éloigne. Il met fin à notre confrontation. Il se dérobe une nouvelle fois. Je ne peux accepter telle fuite. Pas comme ça. Pas sur une telle humeur.

« Tu es bien loin des pensées qui m’ont animée ces derniers jours. Si colère il y a eu, tu n’en étais pas le seul destinataire. Tout comme je ne mérite pas la totalité de tes accès de rage. »

Une pause. Ma fureur ? Je l’ai destinée autant contre moi que contre lui. Je m’en suis voulu si souvent d’avoir succombé, d’avoir été si faible. Il me faut toutefois faire un second aveu.

« Quant à ce que tu as pris pour des attaques sur ton passé, elles ne faisaient dans mon esprit que référence au mien. Je te prie de m’excuser pour ce parallèle malheureux, je ne suis pas si cruelle. »

Ma colère est toujours bien présente. Elle couve dans mon estomac, prête à ressurgir. Mes yeux n’ont pas perdu de leur morgue tandis que j’ai gardé une position défensive. Pourtant, la perspective qu’il eut pu me croire si mesquine m’a dégrisée. La haine a laissé place un instant à la lucidité, laquelle m’a faite prendre conscience de ma fureur inconsidérée.

Je ne suis pas encore prête à pardonner, mais je n’aime pas cette lutte stérile. J’ai besoin de me calmer.

J’attends qu’il réagisse, de quelque manière que ce soit.

Mes accès de rage ?

Qu'on s'adresse à moi comme à un moins que rien, qu'elle le fasse, elle. De sa bouche qui m'a embrassé. De sa bouche qui m'a livré son passé.
Que le miel se noircisse pour devenir poison alors qu'elle ne sait rien de ce qu'il s'est passé, de mes raisons. De ce qu'elle a su dégager en moi. Elle n'a pas idée. Si seulement elle pouvait l'imaginer, jamais elle n'oserait m'infliger de telles réactions.

Je me retourne pour lui faire face, mon visage n'a rien perdu de sa dureté.

"Je pense que ce que t'ont fais vivre ton père et tes frères n'est en rien comparable à cette histoire. Le parallèle n'existe pas. Tu es libre et tu le sais, je ne t'ai jamais forcé à quoi que ce soit."

Un nouvel affront qu'elle me fait en comparant son passé et les actes ignobles de ses proches à ma relation clandestine avec Exoriel.

Sa réponse me désarçonne. Que dire pour qu’il ne le prenne pas mal ? Je ne sais pas, et finalement, cette confrontation n’a pas le doux goût que j’en espérais. Là où j’attendais trouver satisfaction, je ne trouve qu’amertume.

Car plus nul plaisir dans cet affrontement. Je me sens épuisée, contrecoup d’une nuit difficile et d’émotions trop contradictoires qui me rongent. Son visage n’a rien perdu sa dureté. Je n’ai pas la hargne nécessaire pour poursuivre notre déchirement. Trop de sentiments encore présents. Trop d’implication.

Je ne suis pas naturellement mauvaise. Je suis trop sensible pour être désagréable bien longtemps. Si mes actes sont souvent irréparables, ils ne sont que le fruit d’un instant. Je ne prolonge pas ma folie dans la durée. Même pour ça, je n’ai pas assez de volonté.

Ma bouche se fend selon un pli amer. J’en ai assez de cette mascarade. Qu’on me laisse en paix ruminer sur mes sentiments sans trop compliquer les choses. Que je n’ai pas à me remettre en cause. Mon monde était simple avant qu’on ne me le rende abstrait par trop de sentiments. Je baisse les yeux un instant, tentant de trouver une réponse dans les dalles.

Lorsque je les lève à nouveau pour le regarder, j’ignore ce qu’on peut y lire, mais je sais n’être que désireuse que tout ça s’arrête. Ma voix prend des accents plaintifs que j’aurais préféré étouffer tandis que je lui réponds.

« Quoi que je dise, tu trouveras toujours le moyen de le retourner contre moi… Tu me connais trop bien pour que je puisse rivaliser. Je te prie de m’excuser pour t’avoir offensé. Je ne le ferai plus. »

L’émotion s’est faite trop forte. Des sentiments que je croyais avoir vaincus ressurgissent, et mon attachement se restaure. Il ne faut pas que je demeure ici. Il me faut de nouveau fuir. Je dépose le livre en cours sur une étagère, puis me dirige à grands pas vers la sortie, tentant de rester digne malgré les ressentis qui m’assaillent. Je me force à afficher un visage impassible tandis que je passe à ses côtés. Sa fragrance m’assaille, mais je me convaincs de ne pas en tenir compte.

Je le dépasse et me retrouve enfin vers la porte, posant la main sur la poignée. Un peu d’air libre pour clarifier mes pensées.

Son masque de glace se fendille, se répercute jusque dans sa voix. Rhapsody est à nouveau là, comme je l'ai connue en privé. Débarrassée de son armure de glace hérissée.
Ma poitrine se comprime devant son regard perdu.
Elle me fait des excuses puis s'esquive. Je la regarde passer à côté de moi. Un geste imperceptible du poignet pour saisir sa main. Je la suis des yeux, les prunelles figées sur sa chevelure d'argent.

Même si j'apprécie ses excuses, elles m'importent peu présentement. Je sais que je lui dois des explications, que nous devons discuter posément de ce qu'il s'est passé. Que je lui révèle la vérité maintenant qu'elle est redevenue accessible.

Je la rejoins à la porte et pose ma main sur celle qui enserre la poignée. Ma présence si proche lui tire un tressaillement dont je ne saurais trop définir l'origine. Trouble désagréable ou non. Elle tourne lentement la tête par dessus son épaule et lève les yeux sur mon visage.

Mon masque aussi est tombé. La dureté s'est estompée.

"Parlons."

Un simple mot. Une invitation. Elle doit avoir des questions. Je ne veux plus longtemps la laisser dans l'incertitude, dans l'enfer des suppositions. Je veux qu'elle sache.

Mon regard se veut convaincant.

Alors que j’ai enfin atteint mon but, sa main se pose sur la mienne. Je tente de réprimer le frisson qui m’étreint à l’idée de sa proximité mais échoue lamentablement dans mon entreprise. Je redoute toutefois qu’il ne veuille me laisser partir afin de me tourmenter un peu plus. Je n’ai plus le courage nécessaire pour faire face.

Dans une lenteur exagérée, je tourne mon visage vers lui, l’observant par-dessus mon épaule. Ses traits se sont quelque peu apaisés tandis qu’il me propose une discussion. J’hésite un instant, consciente que je ne suis pas dans le meilleur état d’esprit possible pour lui exprimer au mieux mes ressentis. Des questions me brûlent les lèvres toutefois, mais je ne veux pas les lui poser, cela orienterait trop notre discussion. Je veux savoir ce qu’il a à me dire sans que je ne lui impose quoi que ce soit.

Je dégage délicatement ma main de ses doigts, consciente qu’il trouble ma réflexion, sans toutefois me montrer renfermée. Je veux qu’il voie que je suis ouverte au dialogue. Ne pas me montrer butée… Nous sommes tous les deux trop têtus pour que cela mène à quelque chose de bien.

« Je t’écoute Helevorn. »

Qu’il m’explique ce qu’il a à dire. J’ai peur de n’être pas dans le ton de ce qu’il veut exprimer, peur de me tromper sur ses intentions. Je préfère le laisser gérer. Après tout, il a bien plus d’expérience et de connaissance que moi en ce domaine. Je ne souhaite pas faire un faux pas, pas maintenant.

Pour adoucir un peu la froideur de mon ton, mes doigts courent délicatement le long de son avant bras en signe de trêve. Sans un mot, je me dirige vers les fauteuils de la bibliothèque en l’invitant du regard. Deux sont disposés côte à côté dans une alcôve. Je me laisse tomber dans l’un d’eux, attendant qu’il s’exécute.

Mélange d’anticipation et d’inquiétude.

Je m'assois, approchant mon fauteuil du siens, légèrement de face, mais pas de front. Mes avant-bras posés sur mes cuisses je l'observe un instant, ressentant dans l'eau trouble de ses yeux une impatiente envie de savoir mêlée à la crainte.

Je profite de ce moment pour discipliner mes pensées. Ordonner ce que je vais lui dire.

J'ai peur de la blesser davantage, pourtant un silence résonnerait comme un nouveau mensonge.

J'hésite à prendre sa main dans la mienne et finalement m'en abstiens. Si elle accepte de m'écouter, elle n'est sans doute pas prête à un rapprochement plus intime. Ma position de bourreau me prive de la possibilité d'un réconfort dont elle aurait bien besoin. Un bref soupir comme pour me donner du courage. Les mots s'enchevêtrent déjà contre ma langue.

"Je ne sais vraiment pas par où commencer..." dans le vague"Peut être devrais-je faire au plus simple."

Remonter à l'origine et dérouler brièvement ma vie me mènera sans doute là où je veux en venir. Je n'ai qu'a me laisser guider.

"Comme tu le sais, ma jeunesse à été brisée par une découverte. Durant des décennies, et après les évènements de Che'el, ce qu'il s'est passé dans la prison, la révélation de mon ascendance, j'ai vécu des histoires complexes avec les femmes. Balloté entre mes instincts et des sursauts d'humanité. Mes relations ont été chaotiques mais les discours de Rizzen me confortaient dans l'idée que les femelles n'en valaient pas la peine. La chair nous guidait l'un et l'autre. Lui par vengeance, moi par simple soif jusqu'où jour où il est allé trop loin et où son influence est morte."

J'accroche son regard avant de m'en éloigner, concentré sur mes pensées.

"J'ai fais des rencontres qui ont changé ma perception des choses. J'ai appris les sentiments, l'attachement, sans jamais réussir à tomber amoureux. L'Amour est resté des siècles une notion abstraite. En contentant physiquement mes conquêtes, j'espérais toujours combler ce que je ne pouvais jamais leur offrir : une relation, la fidélité, l'exclusivité. Malheureusement j'ai compris qu'aucune ne s'en contentait jamais, et que l'amour s’immisçait inéluctablement entre elles et moi à un moment donné, même si au départ les choses étaient claires. Chacune s'est poignardé le cœur à mon contact."

Un instant de silence où défile sous mes yeux leurs visages.

"Les premiers temps, je voulais les comprendre, les soutenir. Détestant ignorer un sentiment qui pouvait les terrasser de la sorte, la culpabilité m'assaillait. Mes gestes, mes paroles étaient vaines. J'ai compris qu'il était inutile d'offrir du pain à quelqu'un qui meurs de soif...Aussi bon soit-il. Je ne pouvais leur donner ce qu'elles convoitaient."

Mon regard s'obscurcit.

"Toutes ces années j'ai cherché à déjouer le piège de l'Amour sans y parvenir. Pourtant, plus le temps passait plus mes sentiments se développaient mais une chose inexplicable m'empêchait d'aller plus loin. Aussi attaché que j'étais. Jusqu'à ce jour où j'ai visité les Constellations."

L'appréhension grandit en même temps qu'une douloureuse sensation dans ma poitrine. Peur de lui parler d'une autre ? Ou d'elle en particulier...

"Une étoile. Une sorcière. Son cœur aussi froid que son corps était ardent. Une prédatrice. Une femme à mon image."

Mes mots s'envolent sans que je puisse les contrôler, nul doute que je le regretterais.

"Je me suis baigné dans mon propre reflet et me suis brûlé à sa peau, jusqu'au cœur. Pour la première fois de ma vie, une femme me faisait vaciller comme aucune autre, me poussant dans des pensées que seuls les couples peuvent avoir...Aujourd'hui je sais que je n'aurais pu m'y tenir, et cela s'est confirmé assez vite...avant qu'elle ne disparaisse. Ignis..."

Son prénom dans un souffle. Le poids de l'abandon pèse soudainement.

"Puis j'ai rencontré Exoriel. C'est elle qui m'a fait commettre le faux pas. Son aura maléfique m'a transcendé..."

Des images de notre rencontre me griffent avec lenteur.

"Elle m'a entraîné dans les plus sombres aspects de ma personnalité, et durant ces mois avec elle je n'ai fais que la rejoindre, descendant chaque jour d'un pas vers le paradis des pêchés. Un enivrant voyage dans des limbes luxurieuse..."

Une pointe de nostalgie dans ma voix me trahis une seconde. Je lève les yeux sur Rhapsody.

"Mais la chair est faible...si faible...et bientôt elle ne lui suffisait plus à elle non plus..."

Mes yeux s'égarent au sol.

"J'ai longuement réfléchis. J'ai pensé à toutes celles qui avaient croisé ma route. J'ai essayé de comprendre ce qui avec Ignis aurait put faire la différence, ce qui faisait que mes sentiments pour Exoriel s'avortaient dans l’œuf et j'ai émis une hypothèse à laquelle je n'avais jamais songé auparavant. Déduction qui à trouvé un écho retentissant avec toi..."

Je sens Rhapsody pendue à mes lèvres.

"Ton karma. Je crois que seules peuvent me toucher au cœur les femmes ayant un karma opposé au miens. Depuis toujours mes conquêtes et moi-même faisions tout pour nous rapprocher, pour entrer dans une sorte de fusion espérant que la clé de mes sentiments s'y trouve. Espérant que dans la similitude l'Amour pourrait naître. En réalité, je crois que c'est en conservant son identité, en étant en parfaite opposition l'un et l'autre que mon cœur pourrait s'ouvrir...J'en ai l'intime conviction désormais mais je n'ai aucune garantie..."

Mon dos s'enfonce mollement dans le dossier de cuir, je replace une mèche tombée devant mes yeux, pensif.

"La fragilité est permanente si tel est le cas."

Nos regards s'accrochent. Elle sait désormais que rien ne sera jamais acquis. Le karma peut changer tout au long d'une vie.
Un soupire. Il me faut peut être maintenant évoquer les autres...par prudence.

"Tu seras amenée à croiser des femmes que j'ai côtoyé, si tu souhaites connaître leur identité..."

Les mots s’enchainent et s’enroulent sur eux-mêmes. Certains me blessent, la majorité d’ailleurs. M’entendre dérouler une liste de conquêtes n’est guère doux à l’oreille… Mon cœur se serre à plusieurs reprises, pourtant, je me force à l’écouter jusqu’au bout, tentant de comprendre où il souhaite en venir.

L’évocation d’une femme qui a réussi à toucher son cœur me retourne l’estomac. En cet instant, je suis à deux doigts de fondre en larmes malgré mes précautions, malgré mes tentatives pour rester digne. Penser à Exoriel n’arrange pas les choses. A son idée, je frissonne de déplaisir, le souvenir de notre rencontre étant encore par trop présent.

Il termine par une évocation d’une possibilité, fragile mais existante, à laquelle je ne veux pas m’accrocher encore. Je ne veux pas y songer. Dernière réflexion sur le nombre de ses conquêtes. Si je souhaite connaître leur nom ? Fimine me préserve d’une telle chose.

Légèrement vaseuse, l’esprit encore embrumé, j’avise qu’il est temps pour moi de répondre. Je ne sais trop faire le point sur mes sentiments en cet instant tant ils sont confus. Infime espoir d’une possibilité, déception de n’être qu’une parmi tant d’autres, peur de me laisser à nouveau attraper, désir de me lover contre lui… Pensées et ressentis physiques se mêlent. Sa présence si lointaine me semble inaccessible. Amertume et interrogation.

Je tente de faire de l’ordre dans le fouillis qui m’encombre la tête avant de me décider à répondre, lâchant les mots comme ils viennent.

« Non, je ne veux pas savoir qui elles sont… J’aurais trop d’a priori qui ne sont pas justifiés si tel était le cas. Je ne maitrise pas assez mes émotions pour prendre un tel risque. Trop impulsive. Trop naïve… »

Bien piètre entrée en matière, mais j’ignore que dire. J’ignore par où commencer dans le maelstrom qui m’habite et m’oppresse. Mon regard le fuit. Je sais que me laisser attraper à ses prunelles signerait la fin de mes capacités de réflexion. Je ne suis nullement immunisée contre leur effet dévastateur.

« Je ne sais que te dire… Tu es un être complexe. Je le savais avant de m’engager dans cette relation, si relation il y a, mais j’ai préjugé de mes capacités. Je me suis surestimée. Ce n’est pas de l’amour, mais un attachement sérieux qui ne me permet pas d’accepter tel traitement. Tu connais mon passé, tu connais ma fierté. Elle m’interdit d’agréer pareille compromission dans mes propres convictions… »

J’ignore où je veux en venir moi-même, mais je sais penser chaque mot que je prononce. Comme à chaque fois qu’une situation m’angoisse, mes mains se tordent l’une contre l’autre. Je les sens trembler, et finis par me décider à les poser sur mes genoux auxquels elles s’agrippent bien malgré moi. Bien mal à l’aise.

« Je ne sais que faire désormais. J’ai enduré des sales moments ces derniers temps. J’en ai bavé, je ne te le cache pas. Pourtant, je n’ai toujours pas réussi à faire le point sur ce dont j’ai envie. Impossible de choisir une décision et m’y tenir. Mon propre sens de la logique m’échappe, mes propres volontés me semblent abstraites. Je ne suis pas aussi forte que ce que je le croyais. Je suis faible et trop sensible. »

Jamais personne n’a du en connaître si long sur mes sentiments. Les confidences ne sont pas dans mon habitude. Il mérite pourtant que je sois sincère. Il a pris la peine de s’expliquer, même si j’ignore ce que je peux réellement attendre de lui désormais.

« Je suis perdue. »

Meilleure explication de mon état à l’heure actuelle. Mon regard quitte mes mains pour chercher le sien, afin d’y lire ce qu’il pense de cette explication.

Ses prunelles émeraude me fascinent une fois de plus, oblitérant tout raisonnement logique. Une furieuse envie de le toucher en cet instant. Mes jointures blanchissent tandis que je me convaincs de n’en rien faire. Ne pas compliquer les choses.

Je sais qu’il serait plus sage de m’éloigner, mais je demeure indéfectiblement plongée dans son regard, fascinée par leur éclat.

Proie éblouie par la grandeur du chasseur.

Ma main chaude se pose sur la sienne tremblante. Les doigts serrés contre le tissu de sa robe. Je les regarde un instant avant de retrouver ses yeux.

"Ce n'est pas facile pour moi non plus...Ce que tu me fais vivre. Je ne l'ai jamais connu. Pas à ce stade. Je lutte chaque jour contre 300 ans d'habitudes. De réflexes. Nous n'avons pas plus d'expérience l'un que l'autre dans l'Amour." d'une voix posée et rassurante. "Deux choix s'offrent à toi aujourd'hui. Soit tu fais le choix de l'éloignement dans le but de te préserver, et dans ce cas mieux vaut que nous nous évitions. Soit tu décides d'essayer. Tu fais le choix de me laisser du temps pour voir où tout ça peut nous mener..."

J'attends...

Sa main sur la mienne me tire un délicieux frisson. Dans son regard, je me liquéfie. Mon être n’est plus que sensations. Ses mots me plongent dans un délicieux espoir que je repousse malgré moi. Il me faut me soustraire à ses prunelles.

Par un effort de volonté, je parviens à m’en arracher afin de me concentrer sur nos mains enlacées. Si douce sensation ne devrait pas être permise. Si agréable réconfort. L’impression que nul autre endroit ne pourrait mieux me convenir. J’étouffe un soupir, consciente de n’être pas capable de lutter bien longtemps. Pourtant, une angoisse demeure.

« Qu’en est-il des autres ? … d’elle ? »

Ma voix tremble sur le dernier mot. Je ne peux prononcer son prénom sans que ne me reviennent en masse des souvenirs peu agréables. Impossible de cacher la peur qui me guette à son évocation. Impossible de réprimer le nouveau tremblement dans ma main. Je n’ai rien oublié de notre premier jour, et ne doute pas qu’elle me haïsse d’autant plus suite à notre dernière rencontre, à mes mots.

Seule la rage m’avait permis de lui tenir tête. Depuis qu’elle m’a brisée dans la salle de son manoir, je la redoute plus que tout.

Un instant, je me demande si elle parle d'Ignis ou d'Exoriel, mais rapidement son expression me met sur la voie.

Je serre les mâchoires, étreint par le souvenir cuisant de notre dernière rencontre. De ces mots jetés avec fracas, dégoût et déception. Une déchirante divergence.

"Ignis a disparue depuis des mois, nul ne sait où elle se trouve ou même si elle est encore en vie. Et Exoriel...l'acte final a été joué, et tu en as vu la conclusion de tes propres yeux..."

Nul besoin qu'elle en connaisse les véritables raisons. Lui glisser qu'elle a été témoin de notre séparation. L'image lui reviendra devant les yeux, elle saura que je dis vrai.

Je sens sa main se crisper soudainement sur la mienne. Quelque chose a mal tourné. Deux rivales écartées. Je devrais m’en réjouir bien sûr, et quelque part, j’en jubile, mais voir le fugace instant de trouble sur son visage me perturbe.

L’ayant toujours connu comme un homme fort, cela heurte mes habitudes. Mes doigts se referment délicatement sur le dos de sa main, le caressant en une maigre tentative d’apaisement. Je me sens bien inutile. J’ignore que faire, quelle décision prendre. Une angoisse terrible me taraude les entrailles. Comment faire confiance à un tel homme ? Il ne m’a certes jamais directement menti, toutefois, il m’assure lui-même n’être pas capable de me promettre quoi que ce soit.

Suis-je prête à une telle relation ? Puis-je croire à ma force ? Je sais être faible pourtant, ne pas pouvoir m’imposer de limite…

« J’ai tellement peur de souffrir... Si nous devions reprendre, il te faudrait accepter ma… jalousie… Même si tu me préviens aujourd’hui ne pouvoir me garantir la fidélité, je ne vivrais pas moins tes potentielles tromperies comme des trahisons pour lesquelles je t’en voudrais énormément… Je ne peux m’engager à moitié dans une telle relation. Je ne pourrai le supporter. »

Pitoyable requête qui est pourtant vrai. Je lui laisse certes entrevoir une possibilité mais le met en garde. J’ai des conditions, si l’on peut dire…

« Accepteras-tu telle relation ? Es-tu prêt à supporter mes sentiments si j’accepte de tenter ma chance ? Je ne pourrai pas demeurer insensible. Et tu représentes bien trop pour que je te prenne à la légère. »

J’ignore si tout ceci est bien sensé, mais sa présence, son regard m’ont fait perdre la notion de réalité.

J’ai peur de signer le début de mes tourments, mais tel le papillon de nuit, je suis bien trop attirée par la source du feu pour en rester loin bien longtemps.

Quitte à me brûler les ailes, autant le faire pleinement.

La descente aux enfers pourra être bien longue, j’ai le guide qu’il me faut.

Nos mais s'enlacent. Se serrent.

Une sensation de chaleur remonte le long de mon thorax. Un soulagement infini. Une joie contenue. Elle m'offre la possibilité d'essayer, elle nous donne une chance. Un sourire, un regard appuyé pour la soutenir dans cette épreuve qui s'annonce.
Non, ce ne sera pas facile. Je faillirai sans doute...peut être...Je n'en n'ai pas envie. A cet instant, tout ce qui importe est devant moi. Je prend la responsabilité d'entraîner Rhapsody dans une quête dangereuse durant laquelle elle pourrait beaucoup perdre. De sa raison, de son esprit, de son cœur. Je sais que je ferais de mon mieux. Je décrirais de larges détours pour ne pas tomber dans le gouffre des tentations. Mais suis-je assez préparé pour y faire face si jamais elle me prenait de front. Me connaissant, si accoutumé au démon, je serais tenté de dire non. Le danger principal résidant en Exoriel n'est plus, alors peut être... A moins que...

Je secoue la tête, chassant les scénarios catastrophiques qui s'échafaudent dans mon esprit. Je fronce légèrement les sourcils, concentrant mon regard sur la nécromante.

Je ne veux pas qu'elle souffre. Volonté vaine et inutile. La douleur est intimement liée au plaisir, tout comme l'amour l'est à la haine. Le goût du silence se condense en mensonge. Pour lui éviter tout ce mal, se taire est sans doute la meilleur des solutions...

J'hésite à peine à aborder le sujet. J'ai besoin de son accord. Une tromperie est un mensonge. Si elle sait, la trahison se teinte de différente manière, sans pourtant en enlever l'odeur écœurante.

J'ai envie de lui dire qu'elle souffrira quoi qu'elle décide, quoi qu'il advienne. Qu'elle reste ou s'éloigne de moi...à la différence près que l'un des chemin est parfumé de promesses, même masqué par un vent mordant de froid.

"Je comprends et j'accepterais. Mais tu dois garder foi en nous. N'oublie jamais que je ferais tout mon possible pour éviter de te blesser...mais j'ai avant tout et surtout besoin de ta patience, de ton écoute, et de ta douceur...Des attaques ne feraient que me replier sur moi-même en confortant le démon dans sa mécanique égoïste..."

Une pause, le temps de m'interroger sur l'utilité de ma proposition...Comment va-t-elle le prendre ?

"Si jamais quelque chose arrivais, peut être devrais-je le garder pour moi." je lève les yeux sur elle, me voulant convaincant dans ma tentative pour l'épargner. Ne surtout pas lui faire croire que je veux lui mentir. "A moins que tu tiennes à ce que je t'en parle...Mon silence serait peut être salutaire pour toi, tu sais déjà quels sont les risques..."

Ses mots sont un doux réconfort même s’ils demeurent teintés d’une source potentielle de douleur. S’il ne me promet pas la fidélité, il me garantit d’essayer, ce qui, compte tenue son expérience considérable, semble être une première. Bien sûr, il pourrait aisément me mentir en cet instant, se jouer de moi afin de profiter encore de mon corps… Toutefois, cela serait présomptueux de croire qu’il prendrait le risque d’une telle relation, si compliquée qu’elle s’annonce, seulement pour une histoire de désir charnel. D’autres seraient probablement prêtes à lui offrir bien plus que moi sans ajouter tant de difficultés.

Quant à sa proposition de me garder dans le silence pour me préserver, elle me hérisse tout le poil. Si j’ai peur de souffrir, je préfère le savoir que demeurer dans l’ignorance. Dans mes visions naïves de couples, les partenaires se doivent loyauté… Bon certes, ils se doivent aussi fidélité… mais je doute que nous répondions aux critères classiques en la matière. Toutefois, à défaut d’une caractéristique, autant que nous ne piétinions pas les autres…

Mon cœur se serre à l’idée qu’il puisse me tromper alors que je lui cède ma confiance. Je suis consciente de faire mon propre choix en acceptant cette relation, j’ai toutefois besoin d’encouragement. Et quelle meilleure source de réconfort que celui-là même auquel j’offre ma foi ? Sans le lâcher, je me lève du fauteuil, et prends place sur ces genoux, enlaçant sa nuque de ma main libre tout en déposant mon front contre sa joue. Sa présence m’a terriblement manqué. Je profite un instant de sa douce chaleur, consciente qu’il va me falloir répondre.

Une longue inspiration afin de trouver la force.

« Je ferai du mieux que je peux… C’est mon tour de t’avouer ne pas pouvoir te promettre être compréhensive et calme en toutes circonstances. J’ai… des lacunes dans certains de ces domaines… Quant à ta proposition, elle part certes d’un bon sentiment, mais je ne peux l’agréer. Je souhaite que notre relation soit basée sur la confiance. Je place en toi une foi conséquente et qui va être amenée à être remise en cause selon toi… A défaut de pouvoir me promettre ta fidélité, j’aimerais que tu me garantisses être sincère avec moi… Je ne veux pas vivre dans des faux-semblants et souhaite pouvoir prendre mes décisions en toute connaissance de cause. »

Je détache mon visage du sien, pourtant agréablement apaisée par sa douce présence d’homme. Il me faut le regarder lors de ma demande. Mon regard se perd dans ses prunelles afin d’y détecter toute trace de vilénie. Ma voix se fait légèrement implorante.

« Promets-moi que tu seras sincère avec moi et ne me cacheras rien de ce que je devrais connaître. Je ne demande que ça pour te laisser une chance. Voila ma seule requête. Ne pas vivre dans le mensonge. »

C’est certes une compensation relativement maigre, mais c’est déjà la clef d’une relation honnête. C’est le mieux que je puisse espérer pour l’heure. Cela représente de quoi regarder l’avenir avec plus de sérénité. La certitude de prendre mes décisions avec les éléments nécessaires.

Ses prunelles me font de nouveau perdre pied. Il me faut me concentrer pour demeurer maitresse de mes émotions.

Je ne me laisserais pas piéger par celui que j’aime à appeler désormais dans le secret de mon cœur mon démon. Un qualificatif que je semble pouvoir employer désormais.

Son humanité ne me fera pas oublier qui il est.

C’est un être dangereux.

Il sera bientôt mon amant.

Premier rapprochement franc depuis des jours. Une éternité. Elle en prend l'initiative, brisant pour de bon le haut mur de glace qu'elle avait érigé. Elle passe de l'autre côté et se confronte à ma chaleur. Se love contre ce corps dont le contact semble lui avoir terriblement manqué si j'en crois la façon dont elle l'enserre. Sa main contre ma nuque, son buste au plus près du miens, son front contre ma joue.

Mes paupières se ferment. Ses cheveux indisciplinés me caressent le cou en un délicieux friselis. La douceur de sa main appuyée contre ma peau sous le couvert chaleureux de ma chevelure, la légère pression qu'elle met dans son geste signe une envie de possession.

Mon odorat servit pas une respiration profonde se réjouit du retour de cette fragrance. Le parfum de sa chair, de ses vêtements. Si plaisante retrouvailles.

Un de mes bras entoure son dos, ma main se pose contre sa cuisse, la tenant serrée à moi dans une attitude protectrice.

J'écoute sa requête aux allures de prière.

Elle recule sa tête pour me regarder dans les yeux. Une façon de me signifier l'importance de sa demande. Elle craint peut être que je me joue d'elle ou que je prenne tout ceci à la légère.

Ma main sur sa cuisse rejoint sa joue dans une caresse. Je lui souris avec bienveillance.

"Si c'est ce que tu souhaites, alors je te promets de t'en parler si jamais cela arrivait."

Je pense qu'elle a fait le mauvais choix, même si je comprends son besoin de savoir. Cette situation n'est pas comparable aux femmes des hommes adultères qui les trompent allégrement tout au long de leur mariage sans qu'elle ne veuille jamais rien en savoir, préférant se voiler la face et vivre dans un bonheur illusoire. L'enjeu est tout autre. Elle sait déjà. Connaître dés le lendemain, ou le jour d'après l'existence du forfait risque d'entraîner davantage de questions dans la douleur. "Où, et avec qui ?". Je ne veux pas lui infliger des périodes où son amour propre, sa confiance en elle ne seront plus que ruines. Je ne suis pas un humain. Si je venais à voir une autre femme, il serait inutile qu'elle en cherche les raisons comme la plupart peuvent le faire. Se remettre en question. "Qu'est ce qu'elle a de plus que moi ?". Rien. Elle aurait même peut être moins. La mécanique de la chair pour la chair n'est pas huilée dans l'idée de trouver chez d'autres ce que je n'ai su déceler chez les précédentes.
Elle sert à apaiser une soif. "Qu'est ce qu'elle lui fait que je ne lui fais pas ?". Vaine interrogation. Ce besoin de chair est purement narcissique. Purement égoïste.
Puisse-t-elle ne pas s'infliger ces questions auxquelles elle ne trouvera aucune réponse. Jamais.

Sa main court le long de ma cuisse avant de se poser sur ma joue. Sentir son étreinte protectrice autour de mon corps. La chaleur de son bras qui m’enlace avec possessivité. Son souffle apaisant qui caresse mon visage. Tellement de sensations qui m’ont tant manqué.

Il accède à ma requête. Nouveau pincement au cœur à l’idée que cela puisse se produire… Inquiétude quand je prends conscience de la relation dans laquelle je m’engage. Il est pourtant désormais trop tard pour fuir… Je n’en suis plus capable de toute façon. Lovée ainsi contre lui, mon sens des réalités bat sévèrement de l’aile. Je suis prise au piège de sa présence, obnubilée par lui. Je veux connaître tout de lui, le comprendre, ses motivations, ses sentiments, ses faiblesses. Faible humaine, je souhaite pourtant prétendre à la connaissance de ce qui anime un demi-démon. Il va partager un bout de ma vie après tout…

Je quitte son regard, revenant me lover contre lui. Mes lèvres déposent un tendre baiser au creux de sa gorge avant que ma tête ne se repose à nouveau contre sa joue. Rien de plus apaisant que le calme de son souffle. Ma voix se fait plus tendre, plus câline. Je veux profiter de cet instant désormais. Malgré une légère amertume en toile de fond, je suis heureuse et souhaite continuer à l’être tant que je le peux.

Maintenant que ma décision est prise, il me faut l’assumer. Autant m’accommoder des désagréments à venir et tirer partie le plus possible des joies du quotidien. Il va me falloir être enjouée. D’habitude si réservée, je vais devoir exprimer mes sentiments à son égard pour qu’il comprenne. Qu’il ne me croit pas insensible.

« Alors considère que je te laisse, que je nous laisse une chance. Tu peux désormais me considérer comme tienne. »

Une offrande consentie. Une promesse offerte. Désormais, le sort en est jeté. J’ai accepté ce qu’il m’a donné. Je me suis jetée à corps perdu dans notre histoire.

L’avenir me dira si j’avais raison de tenter tel pari.

Sa dernière phrase me frappe au cœur. A la limite de me couper le souffle.

Elle est mienne. Elle se donne, s'offre, me promet sa fidélité, chose que je ne peux lui céder avec certitude. Un tel déséquilibre me met mal à l'aise. Je la serre contre moi, poussant un profond soupir comme pour expulser mon angoisse. Le poids de mes responsabilités.
J'ai son cœur entre les mains. Si je venais à le briser...Ce serait terrible même si le démon au fond s'en contrefiche. Pas ma part d'humanité.

Je ressens sa peur déflagrer par ce compromis aux accents de sacrifice.

Ce qu'elle est prête à faire...

Un pari si risqué.

J'essaye de calmer l'appréhension qui cogne dans tout mon être. Ma main épouse l'ovale de son visage. Je la regarde, les yeux baignés d'une reconnaissance singulière, un remerciement silencieux. Une chance pour moi de peut être atteindre ce que j'ai toujours effleuré. L'empoigner. M'y plonger et lâcher prise...J'espère...

Ma bouche rencontre la sienne dans un baiser au goût de serment.

Le regard qu’il pose sur moi est empli de reconnaissance. Je lui souris bien qu’encore piteusement, perturbée dans cette relation que nous n’avons jamais connue. Loin de la spontanéité des premiers instants, elle se teinte d’un peu de dépit. Un malaise tout juste perceptible mais pourtant présent. Vais-je devoir apprendre à vivre avec ?

Mettant fin à cet instant de doute, nos bouches se trouvent. Je ferme les yeux, profitant des sensations qui m’envahissent. Il se fait doux et attentionné, m’enfermant pour un temps dans notre univers. Ma main se pose sur sa joue en une attitude possessive tandis que l’autre demeure serrée autour de sa nuque. Je ne le laisserais plus me fuir désormais. Je parviendrai à le faire mien. C’est une promesse que je me fais, un pari que je tente sur l’avenir.

Il est loin le temps des remises en cause solitaires. Je me dois d’assumer mes choix, d’aller jusqu’au bout de leurs conséquences. Je dois me battre pour mes convictions. Ne plus me laisser abattre par de simples doutes. M’affirmer en tant que femme.

Il est fini le temps de la sauvage constamment apeurée. Je vais savourer toutes les possibilités de ma vie désormais, au risque d’en souffrir.

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